15 Août 2011
Parlons de ton disque — la meilleure vente actuelle du catalogue Saravah. Comment s’est fait le choix des chansons ?
Le choix des titres a pris du temps. Si on me demandait de me définir, je dirais que je suis une chanteuse réaliste. J’aime la chanson qui parle de la vie concrète, et c’est ce qui me passionne chez Leprest et chez les artistes qui te parlent de choses que tu peux côtoyer tous les jours. Pour ce disque, je voulais rechercher dans le répertoire mais Pierre, craignant que ça ne soit trop passéiste, a insisté pour qu’il y ait aussi des inédites. Il y a donc les deux chansons que m’ont faites Allain Leprest et Romain Didier (Le petit Jupiler et Le chevalet de Liévin) et Léon, que j'ai écrite quatorze ans auparavant. Toutes les autres sont des reprises, certaines très connues, des « monstres » comme Adelaïde, Le petit bal perdu, La bohème et Les petits papiers. On m'en a suggéré aussi, ça a été un travail d'équipe. À cette époque, je ne connaissais pas Tournesol, de Prévert, et Pierre me l’a faite écouter, interprétée par Montand. Je ne connaissais pas non plus La chanson de Margaret (de Pierre Mac Orlan) et elle m’a plu tout de suite. C’est exactement le style de chansons que j’aime !
Parmi les reprises, on trouve aussi deux magnifiques chansons de Barouh : L'allégresse et Chanson pour Teddy.
La première fois que Pierre a entendu ma voix, il m’a tout de suite imaginée chantant ses propres chansons, parmi celles qu’il aime le plus. Il m’en a fait écouter quelques unes et j’ai choisi celles qui me plaisaient, comme Chanson pour Teddy.
Barouh a composé une nouvelle musique sur Les amants de la Place Dauphine, le poème d’Aragon. On en connaissait une version écourtée, par Monique Morelli (en 1965), musique de Leonardi, sous le titre : Jean Julien je ne puis.
Les amants de la Place Dauphine est une succession de tableaux, elle est difficile à chanter sur scène, parce que trop longue : douze couplets dans le langage très académique propre à Aragon. Je crois que Morelli commençait par le cinquième couplet. Je me suis régalée dans ces tableaux ! Moi, qui ais le goût de l'insolite, je me sentais bien dans la peau de cette femme qui vient de vivre une nuit extraordinaire et qui raconte son histoire à son mari...
Au sujet de la chanson Le Petit Jupiler, je croyais, à première vue, qu’il s'agissait d'une coquille...
Jupiler est une marque de bière et tout le monde croit que c’est Jupiter... À Liévin, presque tous les bistrots portent cette marque en enseigne et pour Leprest, un Jupiler est un bistrot !
Le chevalet de Liévin a été écrite spécialement pour toi ?
Quand les artistes viennent chanter aux Trois Pierrots, ils logent à côté du chevalet du puits 3 de la mine de Liévin, où a eu lieu la dernière grande catastrophe, il y a vingt ans, le dernier coup de grisou qui a fait quarante morts. « Le chevalet », dont le nom véritable est chevalement, c'est cette énorme structure métallique où se tenait la cage qui descendait les mineurs au fond de la mine. Maintenant, les puits sont bouchés, les bâtiments ont été rasés mais la municipalité a gardé deux chevalets, pour le souvenir. Un matin, Leprest est passé devant ce chevalet, éclairé par un lever de soleil magnifique, et il a fait un parallèle entre le chevalet de la mine et celui du peintre... Un an plus tard, en allant déjeuner au Café de la Mairie d’Ivry qui est son Q.G., je lui rappelais sa promesse de m’écrire une chanson. « Je te la fais ce soir, je te promets, tu l’auras ce soir ! », me dit-il. Et sur le rond de bouteille qui traînait sur la table, il commence à écrire : « terril, corons, charbon, chevalet... » et me dit : « Tiens, je connais déjà son titre : Le chevalet de Liévin. » Et le soir même, il faxait le texte de la chanson chez Romain !